HUMAINES ET DEESSES

            UNE NOUVELLE PERSPECTIVE DANS L’OEUVRE DE

                                           MARYSE LEBASTARD

               Longtemps, Maryse Lebastard a été fascinée par la relation entre animaux et              humains, et s’est peu à peu laissée envahir par la corrélation entre les deux. Au fil du        temps, elle a rappelé avec beaucoup de constance que, dans la littérature, l’art, comme          dans la vie réelle, l’Homme fait parfois appel à l’animal pour caractériser une émotion, un ressenti, une interrogation. Et l’animal a pris le dessus, est devenu le protecteur, abritant l’humain à tous les stades de son évolution. Elle avait, du fait de tous ses possibles questionnements, réalisé une œuvre narrative à la manière d’un conte. Une œuvre qui était un mélange de tendresse, de poésie, de rêve, de souvenirs enjolivés au fil du temps ; où, en somme, elle jouait les démiurges. 

                                              
 
                                 

       

  Aujourd’hui, inquiète, peut-être, du rôle de l’homme dans l’anarchie du développement climatique, elle a souhaité changer la relation entre ses humains et ses animaux. Ses humaines, plutôt, car tous ses personnages sont féminins ! Mais se sentant sans doute impuissante à jouer seule les redresseuses de tort, elle a fait appel à des déesses, dont la principale serait Artégénia. Il faut alors remarquer qu’elle se retrouve dans la ligne de centaines d’artistes qui, subjugués par l’invasion du Covid, se sont lancés à personnifier l’Amabié, ce monstre aquatique, sorti des eaux de la mythologie japonaise pour sauver le monde. Seulement, à l’inverse des peintres ou sculpteurs qui ont subjectivement fait vivre ce même « dieu », sa déesse Artégénia est issue de la propre imagination de la créatrice. Son nom est d’ailleurs significatif, formé du mot « Art », et de la racine « génie », d’où son rôle de génitrice ! Ainsi, est-elle dotée d’un don de projection, et peut-elle transmettre son énergie à l’ovocyte animal, à la graine végétale. Elle est en somme la déesse de tout ce qui naît et vit ; et, pour confirmer que son monde se situe bien « ailleurs », Maryse Lebastard a fait preuve d’humour, et ajouté à ses autres déesses le suffixe « IX » qui, joint à un nom précis, indique au visiteur les pouvoirs de chacune : ainsi, Flumenix, eu égard aux cascades chantantes du même nom, a-t-elle un oiseau sur la tête ; Arborix arbore un arbre ; Artix promène fièrement un animal arctique. Et Mondix, naturellement, au rôle moins vaste que celui d’Artégénia maîtresse du monde sous toutes ses formes, se cantonne à engendrer celui qui assume la vie humaine : un tout petit enfant !

                   

 

Forte de cette aide multiple et omnipotente, Maryse Lebastard a créé à partir de ces déesses, une nouvelle ethnie humanoïde, limitée la plupart du temps à une tête sur un cou ; et si elle a un corps, il est entièrement bandagé de tissus, gravés tellement profondément qu’on les dirait scarifiés ! 

          Finalement, dans le nouveau monde de cette artiste, tout se passe dans la tête ! Dans laquelle, d’ailleurs, est invariablement, creusé un sillon, d’avant en arrière. Lequel, à l’instar de la regalia pharaonique, est bordé d’un frontal marqué d’intrications circulaires, qui peut s’allonger et couvrir le nez, comme celui d’Artégénia ; de sculptures incrustées dans le front ; d’une sorte de rabat frontal arrondi ou triangulaire finement décoré…

          De ce sillon, peuvent naître selon la génitrice dont le rôle a été précisé plus haut, créatures humaines, animales, ou végétales. Ainsi, d’un même crâne (qui pourrait être jugé animalier à cause de ses deux oreilles pointues, sauf qu’il s’agit d’Artégénia aux grands yeux brillants, maquillés et à la bouche parfaitement dessinée), peuvent surgir trois œufs transparents en gestation : dans l’un s’agite un être difficilement identifiable à la tête hypertrophiée, assis sur son derrière ; dans l’autre une tête ricanante au front orné d’une bosse ; dans un troisième géographiquement situé au-dessus, un indéfinissable petit individu arc-bouté sur un support. De ces œufs partent des filaments qui reviennent vers la base du cou : de l’embryon, en somme, à la femme adulte qui le fera éclore à son image !! (D’où le fait que toutes les créatures de Maryse Lebastard soient féminines ?)

          D’un autre sillon rempli d’un élément couleur terre, pousse un bonzaï. Sur un autre encore, rempli d’une matière blanchâtre qui pourrait être de la neige, marche un ours blanc scrutant le paysage.  Ailleurs, au-dessus de ce sillon, a été construit un nid fait de branches solides, dans lequel est lové un enfançon. Et ainsi peut recommencer le cycle !

 

          En somme, ces trois formes d’éléments vivants sont toujours interdépendantes mais l’humaine a grandi. C’est elle qui, désormais, porte l’animal ou le végétal. Il s’avère donc que, dans l’esprit de la sculptrice, elle est la garante des événements !  Ce qui naguère était une relation affectueuse entre bêtes et gens, est devenu une façon de responsabiliser l’humanité. Et, n’était l’humour qui y procède et la fantasmagorie qui y demeure omniprésente, cette nouvelle série pourrait être considérée comme une démarche de sensibilisation écologiste ! S’il faut rester réservé quant à cette possibilité, la relation entre humaines et animaux comporte assurément moins de tendresse qu’au temps où l’artiste cocoonait tout son petit monde ; affirme plus d’urgence en relation avec la situation réelle actuelle. La démarche s’est un peu déshumanisée, sophistiquée, intellectualisée. Il n’en reste pas moins qu’elle accompagne une œuvre originale, conviviale, curieuse, interrogative et exploratoire : vivante en somme !

Jeanine RIVAIS

 

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BETES ET GENS, LES SCULPTURES ZOO-HUMANOÏDES DE MARYSE LEBASTARD

                            

C’est au Salon de Paris, en 1831, que la sculpture animalière a commencé à susciter un intérêt particulier du public, avec le travail d’Antoine-Louis Barye qui la réinvente. Il délaisse l’aspect mythologique des sculptures connues jusqu’alors, pour se concentrer sur l’aspect beaucoup plus représentatif et réaliste des animaux. Pourquoi cet engouement ? D’abord, parce qu’elle est avant tout un spectacle, l’exposition vient dire la jubilation de la monstration du vivant que l’on cherche à ordonner, à classer et à redéfinir. Ce processus engendre des logiques de qualification des animaux qui instaurent des représentations des relations de l’homme au vivant, oscillant entre une altérité farouchement défendue et le continuisme allant jusqu’à une intimité partagée. Enfin, l’exhibition des animaux les transforme en « acteurs-objets… » (¹)

 

          A quand remonte la fascination, le souci d’exprimer l’instinct grégaire et les questionnements sur l’humanité, façon Maryse Lebastard ? De nombreuses années, cette création devenant une véritable monomanie qui a envahi chaque moment de la vie de l’artiste ! 

          Et depuis tout ce temps, elle sculpte dans la terre, le grès surtout, traité au raku, des petits portraits en pied, d’un réalisme surprenant, à ceci près que tous ses animaux ont conquis la station debout ! Qu’ils sont chaque fois surpris par le visiteur, en des attitudes humanoïdes tout à fait surprenantes ! Car tout n’est que tendresse, dans le monde de Maryse Lebastard, conciliabules intimes entre l’animal, un petit singe ou un lémurien le plus souvent, ses grands yeux réfléchissant la lumière, et… un petit humain, souvent féminin, d’ailleurs… Mais parfois, l’artiste s’écarte de ce choix, et ce sont alors des hippocampes, des zancles, des huîtres… qui deviennent partie prenante de cet échange. Et malgré ce côté relationnel inattendu, aucun transfert n’est à remarquer : l’animal reste animal, l’humain reste humain, comme si elle tenait à affirmer la possible tolérance de l’un vis-à-vis de l’autre, en dépit de leur différence. 

 
                              

     

    A ceci près que, toujours, c’est l’animal qui est le protecteur, l’humain le protégé, en une inversion très symbolique des rôles. Subséquemment, l’animal est toujours adulte, et propose sa relation avec l’humain à tous les stades de l’évolution de celui-ci : en gestation, placé bien en évidence dans le ventre de la « mère » ; déjà né mais encore bébé dans ses bras ; enfant lisant sur sa tête ; tous deux face à face, en un échange profond mère/enfant. Ajoutant peut-être un soupçon de fantasmagorie ou d’humour, lorsqu’elle danse sur le nez de son phoque !

          Il semble donc bien que Maryse Lebastard ait voulu affirmer son regard positif et sensible sur l’animal. Dire que l’humain n’a pas le monopole de la tendresse, mais que celle-ci existe au même titre dans le monde animal. Se souvenir que, dans la littérature, l’art, comme dans la vie réelle, l’Homme fait parfois appel à l’animal pour caractériser une émotion, un ressenti, une interrogation. Voir ses œuvres encourager l’observateur à s’interroger en adoptant une nouvelle perspective, celle des opprimés…

          Et elle réalise, du fait de tous ces possibles questionnements, une œuvre narrative à la manière d’un conte. Une œuvre qui est un mélange de tendresse comme il est dit plus haut, de poésie, de rêve, de souvenirs enjolivés au fil du temps ; tout cela rendu avec un évident amour de la sculpture.

Jeanine RIVAIS